Méssage du réalisateur Pad A Wam: Une histoire de ma vie pour répondre sur la communication contrôlée. C’est pour Jonathan, mais aussi pour les autres. Avec le temps, j’ai perdu beaucoup de points sur mon permis de conduire. Arrivé aux portes de la Mouise (son incarnation directe), je me tournai vers le fameux stage de récupération de points… Dans une petite salle d’un hôtel Mercure, arrivé quinze minutes en retard, vingt personnes dans ma situation (ou proche), une psychologue obèse, et un humoriste, me regardèrent débarquer les cheveux en pétard avec la forme physique d’une tortue bicentenaire (j’avais pas pris de café). Je venais de mettre un pas dans une réunion d’alcooliques anonymes déguisée. « Oui? Vous êtes? » demanda la psychologue. « Euh… c’est bien la salle pour la récupération des points? » répondis-je, inquiété par les tronches du public, dans un état encore plus lamentable que le mien. « Absolument. » asséna la psy, fronçant d’un sourcil. « Donc vous êtes..? » « G…D… » « Vous êtes en retard… » dit l’humoriste en souriant, essayant dès le début de livrer le fond de sa pensée avec une fausse bonne humeur. « Je suis désolé, les embouteillages, et j’ai eu du mal à comprendre que ça se passait dans un hôtel… » répondis-je telle l’écriture automatique d’un Debbache. « Les fameux dragons… C’est terrible. » rétorqua la tête de guignol. Je me rappelai aussitôt de ma prof d’anglais en seconde, qui m’avait sorti pratiquement la même réplique treize années plus tôt, avec cette ironie typiquement franchouillarde. « On peut avoir du café pour le prix du stage? » m’hasardai-je, l’air défoncé. « J’imagine qu’avec le prix que vous avez payé pour être parmi nous, vous pouvez mettre deux euros dans la machine… » plaisanta l’humoriste. Le public, déjà conquis par le sosie foireux de Val Kilmer dans « Heat » avec sa barbe de trois jours, sa petite queue de cheval (oscar direct), et prêt à bouffer la salle à 8h30 du mat, déjà consterné par mon air de sous-Kurt Cobain brun avec des cernes de dix mètres, s’esclaffa. J’allai m’installer. A ma gauche, un sexagénaire, dégarni, recroquevillé, déjà résigné à la torture qui nous attendait. Je pouvais imaginer sa vie en l’observant agoniser: quarante ans avec une femme tyrannique sans l’ouvrir en regardant Patrick Sébastien le samedi soir, dix-huit ans depuis leur dernier rapport, et des enfants dont il ne recevait des nouvelles qu’une fois tous les six mois par e-mail. Mais il préférait l’époque des cartes postales. A ma droite, même topo, même remarque, à deux différences près: il avait encore des cheveux, et ne croyait visiblement plus en rien. Il ne me dit pas bonjour, alors qu’il regardait fixement sa table. La société avait eu raison de lui. J’apprendrais plus tard qu’il était masseur kinésithérapeute, et qu’il avait appris à la fermer dans la vie, qu’entamer un débat ne servait à rien. De loin la personne la plus intelligente de cette salle, de laquelle je retins une chose essentielle: lui ressembler, c’était accepter de mourir socialement. La production Mercure eut l’extrême générosité pour le prix de laisser sur la table une bouteille d’eau pétillante de cinquante centilitres, que je m’empressai d’ouvrir. Quatre heures sans clopes me paraissaient insurmontables. Je la vidai en dix minutes. Marco, l’humoriste (Marc en fait), prit la parole. « Bon… Vous êtes tous là. Alors… qu’est-ce qu’on va faire durant les huit heures à venir? Seize si je compte demain… Hum… Je vois des visages contractés… Que pensez-vous qu’on va faire aujourd’hui? Que va-t-il se passer..? On pourrait laisser passer le temps, ne rien faire… Certains trouveraient peut-être ça agréable. Moi quoiqu’il arrive, je suis payé. Merci à vous… Un de vos camarades m’a demandé de s’absenter car il a des coups de fil importants à passer pour son travail. Je comprends… Peut-être que certains ont d’autres obligations aujourd’hui… Vous pouvez nous quitter, je comprendrai… Qui a envie de partir? » Je lève la main (on va passer au présent, faut pas déconner), parmi deux-trois autres branleurs. « Oui..? Vous souhaitez déjà nous quitter? » demande Marco. « Si on part maintenant, on a les points? » réponds-je au calme. Je sens le défi dans les yeux de Marco. « Il est stipulé que vous devez être présent durant ces deux jours pour que nous puissions valider votre stage… » dit Marco, le sourire en coin. « Alors pourquoi cette proposition? » « Hé bien, vous êtes tous là pour récupérer des points, mais je ne vois pas de sourire. C’est grave quand même. » Le ton est donné. Les heures passent alors que le rétro-projecteur ne marche plus. Ce qui n’empêche pas Marco Kilmer de sortir de son cul des statistiques improbables à une seule donnée sur l’évolution des points sur le permis de la « population française » au cours de ces 10 dernières années (sans mentionner quel est le public visé, si ça englobe les gens qui passent des stages et dont on ne peut pas voir qu’ils ont perdu 4 points, si ça comporte les jeunes qui viennent d’avoir leur permis et qui n’ont pas de voiture et ne vont pas perdre de points avant d’en avoir une, ce qui peut prendre parfois 3 ans ou plus selon les moyens de la personne, etc). Je lui fais remarquer que ses statistiques sont incomplètes et très probablement arrangées. Marco m’ignore. Entre temps j’ai bu un litre de bière à la pause déjeuner. La cerise est quand il tente (vous remarquez que je ne mentionne jamais la psychologue, complètement transparente, enceinte depuis dizon, qui tente des vannes en s’échouant comme une baleine pour détendre le gaz sphérique qui confère au ciel sa couleur bleu- comme vous le savez tous très bien-) de nous faire avaler que les radars sont là pour une mission: nous sauver. « Savez-vous pourquoi on met autant de radars? » demande Marco à une foule de 20 personnes dont la moitié est atomisée par l’ennui antoinedanielesque du projet de lobotomie. « Pour nous arnaquer, et qu’on finisse tôt ou tard par se retrouver ici, avec vous. » Je réponds avec la plus grande assurance du monde. Je suis raide pinté. Tout le monde explose de rire. « Quel con » « Non, non… » enchaine Gandhi, exténué par mes interventions. « Les radars sont là… pour vous sauver. Ils créent du danger… Comme nous l’avons vu, les accidents arrivent en majorité en ligne droite, par beau temps, seul sur la route. Nous mettons des radars pour ré-instaurer la notion de danger que vous avez perdu. » J’entends un « haaaan… » dans la salle, émanant de quelques imbéciles heureux qui ont une révélation soudaine. Même mon litre de bière ne m’a pas procuré cet effet. Je les envie presque. « Et savez-vous pourquoi on met des radars près des aéroports? Moi j’adore l’avion, depuis tout petit… » Il sourit alors que ses traits de visage trahissent son bullshit ambiant. « J’ai toujours aimé les avions. Et qu’est-ce que je fais quand j’arrive près d’un aéroport? Je regarde en l’air… C’est beau un avion qui décolle… » Marco la tente poésie, au cas où. Et ça passe. Pas sur mon voisin de droite, qui a toujours le regard plongé sur sa table, l’air cadavérique. Mais Dean Norris (je ne vous en ai pas parlé, mais on a aussi le sosie de Hank dans Breaking Bad, en face de moi. D’ailleurs il ressemble aussi à Bruce Willis, en plus fat, et c’est marrant parce que je me suis toujours dit que Dean Norris ressemblait à Bruce Willis en plus fat) est conquis. « Moi aussi j’aime les avions. J’y avais jamais pensé. » Il sourit comme un gosse. Il est heureux. Le lavage de cerveau a enfin marché. Marco gagne la manche de mes couilles. Flashback. Une heure plus tôt, alors que j’étais au bar en train de finir ma pinte, Dean s’arrête pour me parler. « T’es un vrai rebelle toi, je t’aime bien, tu m’as fait marrer toute la matinée. » Je lui réponds: « Tu trouves pas qu’on dirait une réunion d’alcooliques anonymes animée par le sosie foireux de Val Kilmer et LaGuerta en plus moche et obèse dans Dexter? » Il me dit: « Ahah, tu sais, ce mec est imbuvable, il s’aime, mais je suis juste venu récupérer des points. J’écoute pas ses conneries. Mais change rien, tu nous fais marrer, ça fait passer le temps. » Je l’interroge sur sa vie, son boulot, ses enfants. On sympathise. Je finis par lui payer un café. Retour au présent. Dean a l’air de découvrir une passion soudaine pour Marco avec ses histoires d’avion. Je repense à ce qu’il m’a dit. Je me dis que décidément, tout est foutu. La deuxième journée se termine (la flemme à ce niveau du récit) après deux jours à être le seul à ouvrir ma gueule pour dire à ces deux têtes de cons et à toute la salle qu’on avait payé, qu’on était juste venu récupérer nos points et qu’ils ne pouvaient rien changer à ça, quelle que soit notre attitude, qu’on ne changerait absolument rien à nos pratiques, que si on se retrouvait là, c’est parce qu’on avait des mécanismes. Marco finit sur ce qu’on a retenu, si le public va enfin prendre de bonnes résolutions. Je dis que non, mais que je les remercie pour les points. Dean me sourit: « Rebelle… » La psychologue répond: « Ca, c’est votre avis, hein! » Un homme au fond de la salle est ému quand arrive son tour: « J’aime Frédéric… » dit-il en sanglotant. A ce moment-là, je me dis qu’il est peut-être pédé et qu’il nous fait son coming-out en direct, et que ça explique tout sur tout. Les pédés domineront le monde et transformeront l’humanité en fiotasse, je pense à Soral, je pense à ses prévisions nostradamusesques, et j’en conclus en 5 secondes qu’il avait raison depuis le début. Je cherche où est ce Frédéric dans la salle. Mais non, Frédérique est sa nièce, on l’apprend de sa bouche quand Marco lui demande qui est Frédérique. « C’est ma nièce… Je ferai tout pour la protéger… Il faut que j’adapte mon allure, merci de nous avoir éclairé. » « Effectivement, je comprends votre émotion ». Marco le caresse de ses paroles. « Il faut protéger Frédérique… » En sortant de la salle, alors que je fume une clope avant de partir, celui que j’avais pris l’espace d’un instant pour un homo vient me voir. « Je voulais te dire que je n’ai pas aimé tes interventions. Tu es irresponsable. Je bosse dans un centre aéré, je garde des petits. Marc n’est là que pour nous aider à être plus responsable sur la route. » Ma réponse, elle est très simple: « Il n’est là que pour le business… ce stage est une hypocrisie tel qu’il est construit, on est tous venu pour la même raison: parce qu’on a tous fait des fautes, et qu’on savait dès l’obtention du permis quelles étaient les règles. J’ai fait des fautes, tu as fait des fautes, et on refera tous des fautes. Et ça leur fera du pognon. Ils vivent de nos fautes. Si tu étais si responsable et vigilant, tu ne serais pas là. » Il proteste, et c’est à ce moment là que le masseur kinésithérapeute dit UN mot pour la première fois en deux jours, en me racontant rapidement son histoire, sa profession, sa philosophie et conclut: « Tu as raison sur tout, mais ça ne sert à rien de le dire et d’en débattre. » Je reste scotché. Il était d’accord mais l’a fermé. Il s’est résigné à tout accepter, et ne rien changer, tout en pensant exactement comme moi. Il est mort socialement, et je fais le parallèle avec plein d’autres trucs. Plusieurs types de personnalités ont émergé: ceux qui ferment leur gueule et qui attendent que ça se passe, quoiqu’il se passe, apparemment pour eux c’est le destin, c’est écrit. Ce sont des spectateurs. Il y a ceux qui font de la lèche parce qu’ils ont la sensation d’être aimés par deux archanges de la Justice, envoyés par Jésus en personne, pendant deux jours. Ceux qui protestent un peu mais qui finissent par se calmer quand il y a une seule réaction négative dans la salle, et finissent par rejoindre les premiers que j’ai cités. Mes deux voisins, momies sur pattes. Dean Norris. Et votre narrateur, tocard en règle, mais tocard de qualité. La morale. Dans le fond, si on a tous perdu des points… C’est qu’on a tous des attitudes au volant, des mécanismes, qu’on est pas près de changer, alors que la signalisation, radars, etc, sont de plus en plus abusés. Si ce système de points existe, c’est uniquement une question de business. On pourrait se contenter des amendes. On n’autoriserait pas des gens comme nous à continuer de rouler si nous étions si dangereux. Ce système de sensibilisation est juste un écran de fumée pour une machine à fric qui rapporte énormément. Et croyez-moi, je n’en avais pas tellement conscience avant de passer ce stage, avant qu’ils nous déversent leur gros paquet de merde en pleine figure. On fait attention d’instinct sur la route. Personne n’a envie de mourir. Il y a des tarés, c’est sûr. Mais dans la majorité des cas, c’est juste qu’on a beaucoup de contraintes sur la route, et on enfreint les règles quand on sent qu’on peut le faire. Point barre. Le vieux à ma gauche était là parce que sa femme avait grillé des feux rouges au calme dans sa petite ville, de nuit, zéro personne dans les alentours. Mais il avait pris pour elle. Un héros. Superman regarde Patrick Sébastien et s’écrase devant Lois Lane. Et elle recommencera. Un autre avait légèrement dépassé la limite d’alcool autorisée (je vous dis légèrement, de son témoignage, qui me dit qu’il n’était pas pinté à mort?), et s’était fait contrôler positif, 6 poins en moins. Ca arrivera de nouveau (ça, ou les pétards). Moi, bon… je roule parfois un peu vite. C’est pas un problème! Certaines routes ont des signalisations complètement débiles, et je me referai gauler, c’est logique. Tu fais des fautes qu’ils te font passer pour les pires trucs de l’humanité pendant deux jours, MAIS ils te réhabilitent quand même à conduire alors qu’apparemment t’es un danger public. Bullshit. De là à comprendre pourquoi j’ai écrit ce pavé de merde, quelle relation il y a avec ma communication et son manque de contrôle, je crois que tout est clair, mais pas sûr pour certains. Ce texte était pas mal. Quelques formules, et de la spécification, ce qui créait du contexte (ou de l’atmosphère, je traduis pour les jeunes). Un truc qui se transformait, non pas en musique (la musique des mots, sans déconner, deux balles dans la tête), mais en détachement (de la chaise, de l’écran, des yeux et des algorithmes) : l’instant où quelque chose existe (où tu vois des images dans le texte, toujours pour les jeunes) (oui, « quelque chose existe » c’est de la chiasse de pigiste, mais là je vais à l’essentiel. C’est à ça qu’on reconnaît les scolaires : le souci de l’incipit, et l’effondrement subséquent). Et puis rapidement, de la merde : de la psychologie de carrelage, de l’exécution sommaire (« plusieurs types de personnalités ont émergé », cette vieille rengaine bouseuse qui vise à distinguer les caractères, comme s’il y avait un peu de couleur à la volonté, un peu de divertissement à s’écarter). De la merde, pas spécialement irritante, mais décevante. Un manque de panache. Ce qui fait toute la petitesse de l’écriture, se cantonner à témoigner de soi. C’est pour ça que j’aime bien Marc Lévy, depuis que j’ai vu cette video de promotion (j’ai un peu la flemme, c’est sur youtube) et son casque d’aviateur en cocasserie borderline. Marco a au moins compris ce qu’est un lectorat : une foule à abattre. Et j’ai volé le dernier paragraphe. Honteux, mais de circonstance. J’aimais bien ce mec, il a disparu à la Jimmy Somerville, avec un dernier texte lamentable, mais rempli d’une certaine poésie. Bref, du caviar, comme d’hab. Champagne dans 3 semaines. (Sic)